Giorgia Soleri, la femme qui fait bouger les lignes sur l’endométriose en Italie

Giorgia Soleri peut parfois répondre aux interview depuis son lit. En effet, ce mannequin italien, peu connu en France, est atteinte par la vulvodynie et l’endométriose et les femmes qui souffrent des mêmes pathologies se reconnaîtront dans cet interview. Quand ces souffrances se font fortement sentir, elle n’a d’autre choix que de les écouter. Cependant, elle n’oublie pas de sourire et lorsqu’elle allume la caméra, elle raconte son histoire avec énergie. Elle est heureuse, car elle a réalisé un rêve. Publier son premier livre, La Signorina Nessuno (maintenant en librairie chez Vallardi), un recueil de poèmes qui traverse les thèmes et les moments qui l’ont accompagnée au cours de ses 26 premières années de vie. Et ils font « le bruit des fleurs quand elles poussent ».

De plus, Giorgia Soleri est heureuse car entre une présentation et une autre de son livre, elle retire plusieurs cailloux de ses chaussures. C’est comme dire « vulve, vagin et clitoris dans un programme de télévision publique de l’après-midi ».

Giorgia, pourquoi était-il important pour vous de faire cela ?

Giorgia Soleri : Il existe un énorme tabou et une stigmatisation de la sexualité féminine, des organes génitaux et même du plaisir féminin, qui est parfois considéré comme une sorte d’option. Comme il n’y a pas si longtemps on parlait de moi dans une émission de télévision où je n’étais pas là et au lieu de dire vulvodynie, on disait « maladie » ou « ce truc là », pour moi c’était une petite révolution de parler de ces choses et de pouvoir le faire dans une émission populaire de l’après-midi.

Est-ce l’une des missions de la Mademoiselle Anonyme (Signorina Nessuno) ou de Giorgia Soleri ?

Giorgia Soleri : C’est bien Giorgia. La Signorina Nessuno est née un peu comme un alter ego pour dire ce que je n’avais pas le courage de dire. Alors que Giorgia a du courage, elle va sur Instagram et dit à plus d’un demi-million de personnes : « J’ai mal à la vulve ». C’est définitivement une mission de Giorgia qu’elle partage avec Miss Nobody, surtout au niveau de la « douleur et de la souffrance ».

Ces deux sentiments sont très présents dans vos poèmes. Selon vous, qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans les expériences que vous relatez dans le livre ?

Giorgia Soleri : Il y a tant de douleur et de fatigue, car c’est un sentiment difficile à exprimer par des mots. C’était ce que j’avais le plus besoin de communiquer, mais il y a aussi du bonheur dans ma vie. Les expériences qui m’ont le plus marquée sont certainement l’avortement et la maladie de ma mère.

Comment l’avortement vous a-t-il marqué ?

Giorgia Soleri : J’ai subi un avortement en 2017 et aujourd’hui, j’ai complètement changé d’avis par rapport à ce que j’ai écrit. À ce moment-là, j’ai été complètement victime du récit de la femme brisée qui doit prouver le sacrifice de l’avortement. En fait, je me suis sentie coupable de ne pas me sentir coupable. Je savais que je faisais le meilleur choix pour ma vie et pour celle d’un éventuel enfant également, puisque j’avais 21 ans et que je ne pouvais tout simplement pas avoir d’enfant. Je ne savais pas comment prendre soin de moi, encore moins d’une autre créature. Aujourd’hui, je revendique beaucoup mon expérience de l’avortement et le fait que nous pouvons nous réapproprier un récit où la douleur peut être présente mais ne doit pas l’être.

Le militantisme était-il aussi une réponse à cela ?

Giorgia Soleri : Une chose que j’ai toujours ressentie et qui est ensuite le moteur de mon urgence communicative est une grande colère envers l’injustice, que pendant des années j’ai presque dirigée contre moi-même ou mon entourage. Le militantisme m’a aidé à transformer cette colère en un moteur qui pourrait m’aider et aider les autres. Une façon de me réapproprier mes émotions et de les remettre dans la société en les rendant utiles, car comme le dit le féminisme des années 1970, « le personnel est politique ».

En parlant de votre mère, vous en parlez avec beaucoup de tendresse dans vos poèmes. L’écriture vous a-t-elle aidée à affronter sa maladie ?

Giorgia Soleri : Ma mère a toujours été peut-être même trop forte par rapport à la maladie, en voulant montrer qu’elle était toujours et uniquement une battante et non une femme qui souffrait aussi. En cela, elle a toujours essayé de me protéger et nous nous sommes opposés sur ce point. Même aujourd’hui, alors que j’ai 26 ans, ma mère n’appelle pas un chat un chat. Avec le premier cancer qu’elle a eu, on lui a donné six mois à vivre. J’avais 16 ans et elle m’a dit qu’ils avaient simplement trouvé une grosseur. Nous n’en avons jamais parlé clairement, sauf à la fin. Quand j’ai écrit les poèmes, je l’ai vue si forte et je ne me sentais presque pas le droit de souffrir et j’ai mis toute cette douleur dans les poèmes.

Parler de votre maladie sur les médias sociaux était-il un choix ou un besoin ?

Giorgia Soleri :  Si cela ne m’avait pas aidé aussi, je ne l’aurais jamais fait. C’est le moyen que j’ai trouvé pour rendre utile une douleur qui n’en avait pas. Il y avait aussi beaucoup de colère, car j’étais convaincue d’avoir une endométriose. Quatre ans avant le diagnostic, je m’étais rendue dans un centre spécialisé et on m’avait dit que je n’avais rien, mais j’étais convaincue du contraire car j’étais à moi seule une liste de tous les symptômes de l’endométriose. Aussi, lorsqu’on m’a diagnostiqué à la fois une vulvodynie et une endométriose, je ne pouvais pas imaginer que cette douleur pouvait être inutile. J’ai d’abord pensé à raconter mon expérience avec l’idée d’aider ne serait-ce qu’une seule personne, puis c’est devenu quelque chose que je fais avec plus de conscience. Le comité a été formé et c’est devenu en fait une « lutte politique ».

Que retenez-vous du moment où l’on vous annonce le diagnostic ?

Giorgia Soleri : Une libération géante. J’en parle souvent avec des amis malades et nous disons que cela fait partie des rares diagnostics qu’un patient est heureux de recevoir car vous passez tellement d’années à vous faire dire que vous n’avez rien que lorsqu’un spécialiste vous dit le contraire, vous vous dites « je ne suis pas folle ». J’étais avec ma mère ce jour-là, c’était le 2 septembre 2020. Je suis sortie de la visite, j’ai descendu les escaliers, je suis montée dans la voiture et dès que j’ai fermé la porte, j’ai commencé à pleurer. J’ai appelé Damiano (Damien, le leader de Maneskin, ndlr) et tous mes amis parce que je l’avais toujours su.

Damiano est toujours à vos côtés dans cette bataille, comment vivez-vous ce soutien ?

Giorgia Soleri : Sur le plan personnel, je suis heureuse, même si je pense que lorsqu’on aime, il est normal de soutenir la personne que l’on côtoie. Au niveau de la résonance publique, Damiano a fait ce qu’il avait envie de faire, il a voulu mettre sa visibilité au service de cette cause. Le fait que Damiano ait plus d’écho à la Chambre des députés qu’un groupe de femmes qui, en moins d’un an, ont créé une commission et présenté un projet de loi au Parlement, est le problème des médias, pas le nôtre.

Giorgia, vous avez aujourd’hui 26 ans et avez accompli tellement de choses importantes. Auriez-vous imaginé cela il y a quelques années ?

Giorgia Soleri : J’ai réalisé mon rêve en publiant ce livre. Je l’ai toujours considéré comme quelque chose d’inaccessible. C’est un très bon moment dans ma vie, mais je continue à souffrir de dépression et de douleurs chroniques. Je vais bien mais ce n’est pas tout. La vie quotidienne continue d’être compliquée même si je suis plus heureuse : les maladies demeurent. Cependant, je ne veux plus vivre le mal comme la Signorina Nessuno, je veux le traverser, le soigner et le dépasser.

 

Traduction libre de l’article Vanity Fair https://www.vanityfair.it/article/giorgia-soleri-il-dolore-che-ho-dentro-libro-poesie-aborto-malattia-mamma