Quel est votre parcours, votre formation ?
Michael Stoquer : J’ai fait une école de commerce, l’ESSEC, après une classe préparatoire. La classe prépa ne laisse aucun temps disponible mais j’ai commencé à travailler avec mon père dès que j’ai intégré l’ESSEC. En effet, cette école laisse beaucoup de liberté aux étudiants pour organiser leur scolarité. On peut allonger la durée d’étude jusqu’à 5 ans ou valider ses UV en accéléré en moins de 3 ans. J’ai choisi la première solution ; ce qui m’a permis d’étudier tout en travaillant comme en apprentissage mais sans cadre strict ; ce qui débutait à peine à l’époque (1996) dans les grandes écoles.
Quels sont vos débuts dans le domaine professionnel ?
Michael Stoquer : J’ai donc commencé à travailler avec mon père qui avait créé une entreprise de reprise en sous-œuvre. L’activité consistait essentiellement à entreprendre des travaux de renforcement des fondations de bâtiments sinistrés par la sécheresse en île de France pour le compte de compagnies d’assurance comme la MAIF, la MACIF, la MATMUT et beaucoup d’autres. La technique consistait à approfondir et à rigidifier les semelles de fondations de villas fissurées.
Pourriez-vous nous parler de votre première expérience professionnelle marquante, vous avez effectué vos premiers pas avec votre père je crois ?
Michael Stoquer :Cela a constitué une expérience relativement marquante car ce travail de renforcement de fondation se fait principalement à la pelle et à la pioche par une main d’œuvre qualifiée. Ce travail est presque impossible à mécaniser pour des questions assez évidentes de stabilité de la structure sur laquelle on intervient. Un creusement à la pelle mécanique serait techniquement impossible sous la fondation et dangereux à proximité du bâtiment à réparer pour sa stabilité. Le travail est donc fait à la main. A l’époque, aucune société de maçonnerie traditionnelle ne s’aventurait dans ce type de travaux très spécialisés. La seconde technique, complémentaire de la première était la réalisation de micropieux. Cette technique se prêtait davantage à la mécanisation. Elle consiste à réaliser un forage à l’aplomb du bâtiment sinistré puis on pose un tube en acier à l’intérieur du forage et on y injecte un coulis de ciment pur avec de l’eau à l’intérieur et à l’extérieur du tube en acier. Ce micropieu d’une dizaine de mètres de profondeur en moyenne (selon les charges à reprendre) est ensuite relié aux fondations existantes de la maison, souvent par l’intermédiaire des longrines de reprise en sous-œuvre. Le micropieu permet alors de reporter les charges du bâtiment en profondeur sur un sol qui constitue une assise plus stable pour la construction.
Quand votre père a t-il créé cette structure ?
Michael Stoquer :Mon père a créé sa première entreprise à la fin des années 80 après un début de carrière dans l’administration où il s’occupait de travaux de voirie puis de travaux en carrières.
Quelle est votre zone de chalandise ?
Michael Stoquer : Nous travaillons principalement en région parisienne mais occasionnellement dans toute la France. La région parisienne offre une très grande variété de sols instables et problématiques pour la construction des bâtiments. On y trouve par exemple de très nombreuses anciennes carrières souterraines ou à ciel ouvert remblayées, des marnières, des sols argileux sensibles aux variations climatiques comme la sécheresse, des sols gypseux soumis à des dissolutions naturelles avec ou sans apparition de fontis, de très nombreuses zones inondables, des sols tourbeux, marécageux, compressibles, des terrains en remblais, etc… Il y a donc de nombreuses opportunités d’exprimer nos talents. Nos anciens ont naturellement privilégié les constructions sur les meilleurs sols. Le manque d’espace a ensuite poussé de plus en plus à construire sur les autres terrains moins favorables comme ceux cités plus haut ou les terrains en forte pente. Le besoin en fondations spéciales s’est donc accru naturellement dans notre région.
Vous m’avez également parlé d’une activité de bureau d’étude ?
Michael Stoquer : Nous effectuons effectivement des études en plus des travaux de fondations spéciales. Les études représentent chaque année environ 10% de notre chiffre d’affaires. Il s’agit soit d’études géotechniques afin d’analyser les sols, soit d’études de génie civil. En effet, notre métier nécessite une double compétence technique. Il nous faut maîtriser à la fois, des compétences en géotechnique et en génie civil, en construction car les sinistres se trouvent dans l’interaction en le sol et les constructions.
En 1982 une loi pour l’indemnisation des catastrophes naturelles à été votée, suite à la sécheresse de 1976. Cela a t-il été le début de ce marché ?
Michael Stoquer : En effet, le marché des fondations spéciales existait depuis longtemps mais il était plus ou moins réservé aux gros chantiers : construction de bâtiments importants ou d’ouvrages d’arts. Suite à la grande sécheresse de l’année 1976, de nombreux bâtiments ont été sinistrés. Il a fallu 6 ans à l’Etat pour légiférer et c’est en 1982 qu’a été mise en place la loi d’indemnisation des catastrophes naturelles. Dans les années 80 puis 90, il y a eu plusieurs périodes de forte sécheresse et de nombreux bâtiments sinistrés. Peu à peu, les compagnies d’assurance se sont organisées pour indemniser les sinistrés dans le cadre de la loi de 1982. Parallèlement et suite à la crise économique des années 70 et 80, quelques grosses sociétés de fondations spéciales ont fait faillite et ont essaimé des sociétés plus petites, crées par leurs anciens cadres. Un petit groupe d’entreprises spécialisées est né comme cela pour agir sur ce nouveau marché de niche. Dans les années 90 et 2000 se sont créées quelques autres sociétés de seconde génération avec souvent à leur tête d’anciens ouvriers de ces sociétés.
Vous êtes sur un marché très porteur, et les compagnies d’assurances en sont, entre autre, pour beaucoup. Expliquez-nous ?
Michael Stoquer : Le marché des fondations spéciales est effectivement très porteur en raison des explications ci-dessus mais également car les exigences en termes de qualité de construction n’ont cessé d’augmenter ces dernières décennies en France. Les normes ont foisonné. Le nombre énorme de sinistres liés aux fondations a renforcé la prévention et on a augmenté progressivement les exigences comme les études préalables par exemple. Il serait aujourd’hui presque inconcevable de construire une maison sans avoir procédé à une étude de sol préalable. Ce n’était pas le cas il y a 30 ans. Les DTU puis les eurocodes et les autres normes ont aussi amplifié les exigences de qualité. On voit par exemple aussi de plus en plus de bureaux de contrôle. Le marché a muté sous cette impulsion. La part des fondations spéciales en travaux neufs (préalablement à la construction) a augmenté dans notre chiffre d’affaires au détriment des réparations de sinistres. Le lobby des assureurs y est certainement pour quelque chose. Les sommes énormes dépensées par les compagnies les ont poussé à exiger par exemple systématiquement de plus en plus d’études avant d’engager leur responsabilité pour les garanties dommages ouvrages. Elles forcent les acteurs à construire plus précautionneusement de par leur aversion au risque.
Dans le même temps, on a vu leur attitude face aux dossiers de sinistres se transformer. Il est d’une manière générale de plus en plus difficile de leur faire accepter de prendre en charge les travaux lourds de réparation. Ainsi de très nombreux sinistrés ne reçoivent aucune aide de leur compagnie d’assurance et rencontrent de grandes difficultés à faire face au coût très important de ces travaux (parfois plus de 100 000 € pour un pavillon). Pendant que nous nous perfectionnions pour réparer les bâtiments, certains experts d’assurance se perfectionnaient eux pour trouver toute sorte d’excuse pour ne pas indemniser les sociétaires sinistrés : pas d’arrêté de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, mauvais entretien de la maison ou des réseaux par le propriétaire, faute de la végétation, etc…
La dernière grande mutation de ce marché concerne les nouvelles techniques qui se sont développées ces dernières années : l’injection de résine expansive dans le sol afin de le rendre moins sensible aux variations climatiques et la technologie d’ailleurs parfois couplée à la résine, de pieux vissés qui sont des micropieux simplifiés.
Ces techniques en moyenne moins coûteuses ont souvent la préférence des compagnies d’assurance et je vous laisse imaginer pourquoi, la réponse étant dans la question. En revanche, leur efficacité réelle reste à démontrer et de très nombreux échecs de ces deux technologies sont déjà à déplorer. C’est pourquoi nous avons préféré en rester à l’écart.
L’internet et ses différents outils sont des moyens incontournables pour développer son activité à ce jour. Comment appréhendez-vous ces nouveaux moyens de communication ?
Michael Stoquer : L’internet est à la fois un formidable outil pour se faire connaitre et un risque. En effet, les sociétés spécialisées ont longtemps été très confidentielles, connues que des assureurs, de leurs experts ou de certains architectes. Désormais, n’importe quel particulier peut avoir librement accès à ses entreprises en tapant « micropieu », « reprise en sous-œuvre » ou expert en fissures », « ma maison bouge, que faire ? » dans la barre de recherche de Google. C’est un formidable outil commercial pour les entreprises concernées. Je pense que cela a déjà participé à redistribuer les parts de marchés dans la profession.
A contrario, on peut craindre les effets pervers d’internet comme n’importe quelle société de service : les abus dans les avis de clients, la diffamation, la propagation d’informations erronées, etc… On lit beaucoup de bêtises dans les forums.
Gérer une entreprise n’est pas de tout repos, comment occupez-vous votre temps libre : Pratiquez-vous un sport ? Avez-vous des passions ?
Michael Stoquer : A titre personnel, j’ai toujours pratiqué la boxe comme sport et je continue malgré un emploi du temps chargé. Je considère que je travaille mieux après une activité sportive et je n’ai donc pas l’impression de perdre mon temps, au contraire car je me sens plus performant en étant en forme.
Merci Michael.